Poursuite de la campagne de jeu de rôles qui a déjà donné lieu à deux poèmes que vous trouverez dans la catégorie "Jeu de rôles". Compte-rendu de la séance de samedi soir, j'ai changé de personnage et je joue désormais la fille du jarl (4)
L'image de fond représente Yggdrasil, l'arbre-monde
Nota : Pour apprécier le rythme du poème, consulter les notes de bas de page sur la prononciation des termes scandinaves, notamment "Baldr" et "Nifflheim" qui ont une syllabe de plus que ce que leur orthographe ne l'indiquerait en langue française
(Ronde de rotrouenges)
1 - Cauchemar
Dieux ! Quel sombre destin ! Quel funeste présage !
Mon père est haletant, hanté, tout comme un vieil
Homme qui craint la mort au détour du sommeil …
Lui, le fier, le puissant, le si brave, le sage !
Vit-il donc Niflheim (1), le pays sans herbage,
Sans chaleur, sans soleil, où trône Dame Hel ? (2)
Jamais nul n’en revint ! Même Baldr (3), le bel,
Y reste prisonnier, se lamente le sage !
Mais moi, je le connais ; même ce paysage
Noir, ne le troublerait, s’il y descendait seul …
Je frémis … Dieux ! Qui donc vit-il, en un linceul
Enveloppé ? Quelle terreur, pour qui fut sage !
Jamais nul cauchemar ne troubla son visage
Autant que celui-ci … Lui dont le ferme cœur
Ne succomba jamais aux affres de la peur !
C’est un terrible rêve, effrayant le plus sage !
2 - Cages
C’est un terrible rêve, effrayant le plus sage :
Dans un bateau fait d’os, qui voguait en grinçant,
Il naviguait, hagard, sur une mer de sang …
Une âme, dans chaque os, est prisonnière, en cage …
Ces âmes, c’est son peuple ! Et vois, sur le rivage,
N’est-ce son peuple aussi, qui, fuyant les forêts
En feu, court éperdu, pour tomber dans les rets
D’un sort bien pire encor que cette horrible cage ?
Là, les monstres marins, aux aguets, sur la plage,
Traquaient les rescapés, se repaissaient des morts …
Bien pire, en esclavage ils traînaient les plus forts,
Au fond des flots maudits … Éternelle est leur cage …
Comme un prophète en transe, on voit sur le visage
De mon Père couler, en abondants ruisseaux,
Une sueur vermeille … Et, rompant tous ses sceaux,
Entends son cœur de jarl (4) s’emballer en sa cage !
3 - Que veut nous dire Odin ?
Entends son cœur de jarl (4) s’emballer en sa cage ;
Du clan, n’est-il le père ? Et nous, son héritage ?
Et pour sauver ses fils, il oserait, je gage,
Interroger Odin …
Odin, le Dieu des dieux, qui règne sans partage
Sur Asgard (5) et Midgard (6), depuis des temps sans âge ?
Oser le défier, c’est s’offrir au carnage !
Qu’il est puissant, Odin !
Connaître le futur, n’est-ce l’unique ouvrage
Auquel il se dédie ? Et si grande est sa rage
Qu’il y perdit un œil, car tel est son courage !
Ne sait-il tout, Odin ?
Mais bien obscur, souvent, est hélas le langage
Dont il use pour nous … Et souvent l’homme enrage
De n’y entendre goutte, et tôt se décourage …
Que veut nous dire Odin ?
4 - Perplexité
Que veut nous dire Odin ?
Personne ne comprend, tout le jour l’on médite
Son message soudain …
Et chacun s’interroge, et longuement hésite …
Comme un coup de gourdin
Nous semble cet oracle, et l’effroi monte vite …
Serait-il vraiment fin
De le chanter ? On en rirait ! Le scalde hésite !
Non, ce n’est anodin !
Est-ce que va périr ce monde où l’on habite,
Et la biche et le daim
Dans la forêt ? Combien tout cœur, tremblant, hésite !
Ni noble, ni gredin,
Nul ne comprend ! Ingun (7) même reste interdite …
Oh, pauvre citadin,
Regarde la völva (8) ; vois donc comme elle hésite !
5 - Jeûne
Regarde la völva (8) ; vois donc comme elle hésite ! –
Encore après un jeune et des veilles sans fin,
Régime rigoureux, fait de sel et de pain ;
Vois donc ; elle est si maigre ! En son corps, plus n’habite !
Ne croirait-on plutôt voir une cénobite
Recluse en plein désert ? Un vieux moine chrétien,
Qui, pour prier son dieu, ne boit ni mange rien,
Sinon le minimum, tant sa flamme l’habite ?
Mais Odin n’est pas tel ! Il n’est un troglodyte !
Pour lui, boire et manger sont un culte divin ;
Son éternel banquet, nul n’y connaît la faim ;
Fou, celui qui l’oublie ! Au Valhall (9) il habite !
À perdre la raison, la prêtresse cogite ;
Et nous autres du clan, que ferons nous enfin ?
Thor, retiens ta fureur, quand, en sombre parfum,
Toute terreur prend corps, grandit, puis nous habite …
6 - Terreur
Toute terreur prend corps, grandit, puis nous habite …
Nous nous croyions vaillants, comme un peuple puissant
Qui règne sur la mer par le glaive et le sang ?
Toute rébellion, devant nous, fut détruite ?
Toute ville ennemie, aussitôt déconfite,
Ne peut imaginer plus terribles fureurs
Que les nôtres ; nos raids sont si dévastateurs
Que toute leur contrée est quasiment détruite !
Quand ils voient un langskip (10), que soudaine est leur fuite !
Ils courent se terrer, tout comme des lapins,
Et nous laissent piller impunément leurs biens …
Leur cité, comme un fruit, tombe aussitôt, détruite !
Mais ce rêve est venu, comme un météorite,
Saper notre courage, et, comme des enfants,
Nous sommes apeurés, tremblants, plus que des faons …
Finirons-nous grillés, notre race, détruite ?
7 – La fureur des dieux
Finirons-nous grillés, notre race, détruite ?
Est-ce donc tout Asgard (5) qui contre nous s’agite,
Levant ses légions, pour notre mort subite ?
Que nous veut donc Odin ?
Il n’épargne personne, et pas même lui-même,
Se laissant mutiler pour le savoir suprême,
Les scaldes (11) l’ont chanté, célèbre est ce poème …
Inflexible est Odin !
La victoire est à lui, car il vainquit Ymir (12),
De son corps façonna Midgard (5), sans défaillir.
Ne vois-tu qu’Yggdrasil (13) sans lui ne peut verdir ?
Ô, tout puissant Odin !
Qui subit ta colère et ta rouge fureur
Les os liquéfiés tant intense est sa peur,
En est paralysé, cloué par la stupeur ;
Terrifiant Odin !
8 – Relevons la tête
Terrifiant Odin !
Contemplant ses exploits, notre âme est stupéfaite,
Oui, mais, pleurer en vain ?
Il déteste cela, nous dit chaque prophète :
« Il abhorre qui geint ! »
Reprenons nos esprits, et relevons la tête ;
Quel que soit le gardien,
Oui ! Nous l’affronterons, pour chercher son prophète !
Il est long le chemin,
Et par d’étranges mers où le danger nous guette,
Nous irons, dès demain,
Dans un unique but, rencontrer son prophète !
Hardi, les gars ! Quand bien
Même, des Lofoten, le roi (14), terrible bête,
Serait sur le chemin,
Nous irons dans le Nord consulter son prophète !
9 – Son prophète
Nous irons dans le Nord consulter son prophète,
La femme légendaire – Et qui donc ne la craint ? –
Qui transperce les cœurs de son regard d’airain ;
Oui, nous l’affronterons ! Ce sera notre quête !
On dit que les blizzards paissent sous sa houlette,
Qu’en son palais de glace, un froid surnaturel
Étreint même les flots, et que maints, par le gel,
Périssent sans toucher le terme de leur quête …
Qui parvient à ses pieds, souvent, elle l’hébète,
Il nous revient stupide et parfois même fol,
La révélation, comme du vitriol,
Lui détruisant l’esprit … Trop lourde était la quête !
Mais c’est sur ce chemin où le danger nous guète
À chaque pas, que nous irons ; notre destin
Implacable nous mène, au son de son tocsin,
Voir la Dame de Givre ; écrasante est la quête !
10 - Reflets
Voir la Dame de Givre ; écrasante est la quête,
Mais nous l’affronterons, car vital est l’enjeu ;
Il est fini le temps du rire. Comme un feu,
Le poids de ce fardeau dans nos yeux se reflète,
Nous avançons courbés, et comme à l’aveuglette …
Oui, mais déterminés ; car quand tout le salut
Du clan est en péril, défaillir est exclu ;
Et ce défi, pareillement, là, se reflète !
L’impatience aussi nous mène et nous projette
Sur ce chemin de gloire et de péril mêlés ;
Nous voudrions voler tel un aigle, être ailés
Pour trouver ce miroir où demain se reflète !
Car elle est véridique, interprète parfaite
Du Père des humains, de son décret divin ;
Oui, nous nous y fions : La parole D’Odin
Son oracle, dit-on, fidèlement reflète.
11 – En chemin
Son oracle, dit-on, fidèlement reflète
Les desseins du grand dieu … Furtifs, à l’aveuglette,
Nous naviguons dans le brouillard … Qui nous y guette ?
Des margyrs (15) ! Nous vainquons ; Ah, loué soit Odin !
Qu’il fait froid, tout d’un coup ! Voici qu’une tempête
De neige, hors saison, dans un fjord nous arrête …
Ne serait-ce le but ? Nous débarquons sur cette
Côte … Une horde attaque … Et tôt fuit, par Odin !
Nous voilà dans sa grotte ! Et, la mine défaite,
Nous contemplons ce mur : À chacun, il projette
Ses secrets bien scellés … Maint y perdrait la tête,
Mais nous y résistons, par la grâce d’Odin !
Enfin, voici l’Oracle ! À l’entendre, on s’apprête,
Non sans avoir d’abord formulé la requête :
Ce rêve qui nous trouble, ah, qu’en soient l’interprète
Les paroles d’Odin !
12 – Terrassés
Les paroles d’Odin
Nous parviennent enfin, dans la grotte de glace ;
C’est un capiteux vin
Tant amer et si fort qu’Ivresse nous terrasse :
Nous ne comprenons rien
D’abord ; abasourdi, notre esprit se fracasse
Contre ces mots d’airain :
À croire que Mjöllnir (16) se lève et nous terrasse !
Quand notre tête, enfin,
Accepte le message et lui fait une place,
Notre cœur n’en revient ;
Car c’est lui maintenant que l’oracle terrasse.
Vraiment, que l’homme est vain
De croire tutoyer, sans risque, face à face,
Le mystère divin !
Le message est de plomb, et son poids nous terrasse !
13 – Le message
Le message est de plomb, et son poids nous terrasse ;
Cependant nous savons, c’est certain, qu’il ne ment.
Et par un don des dieux, très progressivement
Nous percevons son sens, malgré notre humble race.
C’est un vieux cauchemar où la raison trépasse,
Conte que l’on ouït dès tout petit enfant,
Mais qui, pour l’homme fait, n’est pas moins étouffant ;
Il surgit devant nous ; l’avenir de la race …
C’est un feu dévorant, qui, comme une paillasse
Embrase notre monde et bien d’autres aussi ;
Titanesques combats ! Mais dites-le moi, si
Chutent même les dieux, que fera notre race ?
Pourtant nous percevons, et grande est notre angoisse,
Ce funeste tableau se former lentement.
L’image devient nette, et grand notre tourment :
Que vois-je ? Ragnarök (17) s’en vient sur notre race !
14 – Ragnarök
« Que vois-je ? Ragnarök (17) s’en vient sur notre race ;
En un terrible hiver où périt le soleil,
Les gens meurent de faim, ou d’un esprit vermeil
De sanglante folie obscurcissant leur face.
Fenrir (18), loup fabuleux, se libère et terrasse
Le plus puissant des dieux ; il ne reste vainqueur
Bien longtemps, car Vidar (19), d’une épée en plein cœur,
Aussitôt vient venger de son Père la face.
Quand Jörmungand (20) se dresse, hélas, telle est sa masse
Que la mer, débordant, se répand sur Midgard (8) ;
Ce qui reste hors des flots brûle si bien qu’Asgard (7)
Est suffoqué, de la fumée en pleine face !
Baldr (6), de Niflheim (4), revient pour prendre place
Sur le trône céleste ; un nouvel âge d’or ...
Cet oracle est certain ; la norne (21) ne s’endort.
Vous, tenez bon ! Car vous devez chercher la face ! »
15 – Chercher la face
« Vous, tenez bon ! Car vous devez chercher la face
De votre divin maître. Allez, avec audace,
Long sera le chemin, tortueux ; y trépasse
Qui n’est élu divin. »
« Maîtresse, nul mortel ne sait par où l’on passe
Pour rencontrer les dieux ; et le gardien pourchasse
Qui trouve le passage, et quand il le fracasse,
Il le réduit à rien »
« Floue est ma vision ; c’est là quelle s’efface.
Cherchez, cherchez encor, que votre esprit ressasse
Mes paroles. Suivez le moindre indice ou trace
Indiquant le chemin.
Croyez en mes propos, pourtant ; ma vue est basse,
Mais le Destin qui parle est vraiment efficace,
Il saura vous guider, cherchant le très sagace,
Le visage d’Odin ! »
16 – La quête
« Le visage d’Odin
Tel sera votre quête ; elle est digne d’un mage,
Le nier serait vain ;
Vous persévèrerez, car tel est le présage !
Quelle en sera la fin,
Cela je ne l’ai vu, pas même en un mirage ;
Tel est un faux devin
Qui ne craint de broder tout autour du présage !
Car, avant le regain
Surviendra Ragnarök, temps de sang, temps de rage,
Temps ou périra maint
Homme, géant et dieu, nous le dit le présage ! »
« Cieux ! Comment un humain
Pourrait-il supporter ces mystères sans âge ?
Et ne périr soudain ?
Dieux, quel sombre destin ! Quel funeste présage ! »
Rotrouenge maîtresse – Présages
Dieux, quel sombre destin ! Quel funeste présage !
C’est un terrible rêve, effrayant le plus sage ;
Entends son cœur de jarl (1) s’emballer en sa cage !
Que veut nous dire Odin ?
Regarde la völva (2) ; vois donc comme elle hésite ! –
Toute terreur prend corps, grandit, puis nous habite …
Finirons-nous grillés, notre race, détruite ?
Terrifiant Odin !
Nous irons dans le Nord consulter son prophète,
Voir la Dame de Givre –Écrasante est la quête –
Son oracle, dit-on, fidèlement reflète
Les paroles d’Odin.
Le message est de plomb, et son poids nous terrasse :
« Que vois-je ? Ragnarök (3) s’en vient sur notre race.
Vous, tenez bon ! Car vous devez chercher la face,
Le visage d’Odin ! »
Stellamaris
(1) Niflheim (Prononcer « Niffeulhaim ») : le monde des morts
(2) Dame Hel, la déesse de la mort
(3) Baldr (Prononcer « Baldeur ») : fils d’Odin
(4) Jarl : Prononcer « yarl » ; l’équivalent, dans l’ancienne Scandinavie, d’un comte chez nous
(5) Asgard : Le monde des dieux
(6) Midgard : Le monde des hommes
(7) Ingun : La völva du clan
(8) Völva : Prêtresse – devineresse
(9) Valhall : Ou Walhalla, suivant les transcriptions. Prononcer « Val-Hôl », avec un « H » soufflé
(10) Langskip : Bateaux de guerre scandinave, improprement appelé « drakkar » (ce qui, en toute rigueur, ne s’applique qu’à la figure de proue)
(11) Scalde : Barde
(12) Ymir, le père des géants
(13) Yggdrasil, l’arbre-monde, qui pousse dans les neufs mondes
(14) Le Roi des Lofoten : Un terrible kraken, gardien du Maelström
(15) Margyr : Sirène scandinave
(16) Mjöllnir (Prononcer Myeulnir) : Le marteau de Thor
(17) Ragnarök : L’ultime combat, où périront la majorité des hommes et des dieux … Avant une nouvelle renaissance du monde …
(18) Fenrir : Loup, fils du dieu Loki et de la géante Angrboda, que les dieux avaient enchaîné par ruse le trouvant trop dangereux
(19) Vidar, un des fils d’Odin
(20) Jörmungand (Prononcer Yeurmungand) : Le serpent de mer, frère de Fenrir, qui ceinture Midgard, le monde des hommes, en se mordant la queue
(21) Norne : Elles sont trois, les gardiennes du destin